31 octobre Divers

Il se passe quelque chose…

Lorsque j’ai rédigé l’article qui a fait le bruit que l’on sait, c’était avant tout un pied de nez, un clin d’œil destiné à quelques amis sur un blog qui traite de tout et de rien (surtout de rien). Cet article, intitulé en réalité « Plaidoyer pour un prof », était complété par des gifs animés rendant le tout plus léger et se concluait bien par un « je t’emmerde » qu’on se permet entre amis, mais accompagné d’un bisou et d’un « sans rancune ».

Qu’importe. Une fois sur enseignons.be, il a entraîné un tas de réactions surprenantes : lettres de remerciements, lettres d’insultes, échanges parfois. Deux réponses publiques également : l’une fadasse, l’autre inutilement agressive. On a également relevé mon engagement en politique, sous-entendant par là que seuls les profs avaient le temps pour cet engagement… (Sous-entendu quelque peu vexant pour les non-enseignants militants qui deviennent du coup des jean-foutres eux aussi, mais soit…)

Et tout ce qui a hanté mon esprit durant ces quelques jours, c’est une seule et simple question : pourquoi, alors qu’un grand nombre d’articles sur enseignons.be traitent de sujets passionnants autant pour les professeurs que pour les parents – nous parlons tout de même de décisions concernant leurs enfants-, pourquoi aucun de ces articles n’a le dixième du retentissement d’un petit article au second degré traitant de vacances? Le bilan Simonet, 14 partages. La lutte contre l’absentéisme scolaire ? 49 partages. Un article provoc sur les vacances, 13573 partages…  Ne trouvez-vous pas ça interpellant?

Alors j’ai décidé de profiter de ces quelques minutes de « buzz » pour tenter de parler un peu des sujets qui comptent ou du moins qui m’importent à moi. Que cela entraîne une nouvelle polémique, peu me chaut. Parlons, échangeons, réagissons ! Mais ne restons pas indifférents…

Les professeurs font beaucoup de bruit, souvent sans être entendus, mais ils le font pour vos enfants. Il serait bien de les entendre quand ils parlent d’autre chose que du poids de leur sac ou de leurs préparations. Le débat est complexe, puisque nous ne sommes pas forcément tous d’accord sur les méthodes à adopter, sur les causes des problèmes ni même sur les conséquences qu’ils auront. Quoiqu’il en soit, nous assistons aux premières loges à un changement sociétal qui semble ne pas encore vous avoir sauté aux yeux.

Les enfants que nous avons devant nous changent. Quelque chose se passe.

Premièrement, la langue change.

Peut-être que je dramatise, peut-être que « ça a toujours été comme ça », comme le pensent certains de mes collègues. J’expose ici un avis personnel. Mais selon moi, nous sommes en train de revoir l’Histoire, d’entrer dans une nouvelle époque où, par exemple et comme par le passé, certaines classes sociales auront accès à la lecture et à l’écriture et d’autres pas. Lorsque l’on observe les résultats de l’enquête PISA – qui contente tout le monde dès lors que l’on ne regarde que le résultat global de la Belgique sans comparer région wallonne et région flamande ou germanophone – il y a de quoi s’inquiéter. Nous sommes tout de même bien en-dessous des deux autres communautés de notre pays.

J’ai été professeur de français pendant 13 ans. Je le suis encore mais j’ai repris une charge d’Histoire. Parce que j’ai la sensation que le français se meurt, ma bonne dame. Et tous les décrets, programmes et évaluations semblent s’acharner à le mettre à mort. On ne peut plus faire de « l’orthographe systématique »- en faire revient peu ou prou à un acte de résistance. Quasiment plus de grammaire pure non plus. La plupart des livres que nous donnons à lire sont des romans « de littérature jeunesse », que je ne critique pas mais qui, selon moi, pourraient parfois rester à la maison. On entraîne les élèves à réussir des épreuves évaluant des compétences type qu’ils exécutent presque machinalement. Les épreuves d’écriture sont soumises à des « critères d’évaluation » si contraignants qu’un texte quasiment incompréhensible obtient la moitié du score (ce qui rend le résultat de l’enquête PISA d’autant plus inquiétant). Le résultat? Plus Un SEUL de mes élèves ne peut écrire quelques lignes sans faute. Plus un. Même la jeune journaliste du Vif qui m’a répondu publiquement a d’abord fait une faute de concordance des temps qu’elle a corrigée ainsi qu’une erreur de construction… La dame qui me répond sur enseignons.be, celle-là même qui a fait également quelques fautes, estime qu’il faut quatre heures pour écrire un petit texte humoristique… Je comprends mieux pourquoi certains parents pensent que les enfants croulent sous le travail s’ils estiment qu’il faut quatre longues heures pour écrire quelques lignes…

Alors oui, certains élèves s’en sortent mieux, rédigent plus ou moins correctement, comprennent assez bien les textes étudiés. Mais ce sont les enfants très suivis à la maison, ce qui revient à dire que ce n’est donc plus l’école qui apporte l’écriture. Où est alors l’égalité des chances?

Cela reste bien entendu ma propre vision des choses mais je sais que nombre d’enseignants la partagent. Je souhaite sincèrement que ce ne soit pas le cas de tous mes collègues mais pour ma part, c’est ainsi. Et il me semble que ça mérite réflexion. Or, nous n’avons jamais l’occasion d’évoquer ces sujets avec les non-enseignants. Ni même assez longuement entre nous.

Suis-je en train de dire que les enfants deviennent « bêtes »? Absolument pas. Je constate avec plaisir qu’en Histoire, les progrès se voient. Ils intègrent les compétences sans plus de souci qu’il y a quinze ans. Cependant, il faut d’abord les aider à lire les textes, traduire le vocabulaire jamais vu et pourtant parfois basique. Leur seule difficulté dans ce cours réside donc dans la lecture. Ils coincent également au moment de rédiger des réponses construites mais nous ne comptons plus l’écriture et pour peu qu' »on voit ce qu’ils veulent dire », on s’en contente.

Qu’on ne vienne pas me répondre que j’attaque ici les instituteurs. Ils n’ont pas d’autre choix que d’enseigner, comme nous, ce qu’on leur impose. Je ne suis pas convaincue par les nouvelles méthodes d’apprentissage de la lecture, mais eux non plus et elles leur sont imposées. Et tout le monde laisse faire.

Le nivellement par le bas de notre belle langue aura pour résultat l’asservissement d’une grande partie de la population. C’est un grand mot? Certes. Mais ces gens n’auront pas d’autre choix que de consulter des écrivains publics pour rédiger une lettre protocolaire, un CV ou une lettre de motivation. On me rétorque parfois que « ça a toujours existé ». Certes une fois de plus. Mais il y a deux générations, l’école devenue obligatoire avait fini par donner des bases à tous. Ma grand-mère, fermière qui n’a jamais fait d’études, est sortie de primaire et écrit toujours sans une faute aujourd’hui. N’est-il pas de notre devoir de continuer ce progrès-là? Retirer au peuple l’accès à la langue écrite revient à le soumettre. Et tout le monde trouve ça normal et anodin.

Ou alors la langue mourra. Peut-être que c’est à cela qu’il faut se résoudre. Il sera normal de trouver des secrétaires qui ne se référeront qu’aux programmes d’autocorrection des ordinateurs, normal de voir des menus remplis de fautes, des PV avec douze fautes d’accord. Normal et peut-être pas si grave que ça le semble aux profs de français qui l’aiment, cette langue.

Ensuite, l’école qui, il y a cinquante ans, était réellement vue comme un escalier social, a perdu une part de son sens. Des enfants de 14 ans voient la réussite par la notoriété d’un Secret Story. D’autres s’abrutissent pendant des dizaines d’heures par semaine devant des jeux vidéos qui finissent par ressembler à s’y méprendre à des addictions sévères, envisageant vaguement de devenir concepteurs sans même envisager de s’intéresser aux cours d’informatique ou de mathématiques… Facebook est devenu un mode de vie où l’on a le droit de tagguer des amis dans des insultes, où des groupes entiers moquent une personne ou une école, appeler une amie « ma salope à moi » est devenu naturel. Et tout cela semble laisser tout le monde froid.

Nous avons pourtant des suggestions. Certaines sont presque unanimes. Nous étions par exemple presque tous contre la suppression de la deuxième année professionnelle et le passage automatique en fin de deuxième après trois ans dans le cycle, pour un nombre de raisons important que je n’aborderai pas ici. Nous ne comprenons pas les règles strictes de NTPP qui limitent nos chefs d’établissement au point qu’il n’y a pas assez d’heures pour diviser des classes trop nombreuses ou pour engager un éducateur de plus pour surveiller des cours de récréations parfois disséminées sur des surfaces gigantesques.

On nous répondra que les budgets manquent, évidemment. Loin de moi l’idée de vouloir faire prévaloir notre métier sur le vôtre, quoi que vous ayez retenu de mon précédent article… Cependant il a une répercussion sur tous les autres si je ne m’abuse. Vos successeurs viennent bien de quelque part…

Il se passe quelque chose. Les enseignants assistent à un événement aux premières loges. Je crois que c’est ce malaise qu’ils tentent parfois de vous faire entendre. Pas parce que notre métier est plus dur que le vôtre, mais parce que notre métier vous concerne tous. C’est peut-être cette inquiétude/incompréhension que j’ai voulu rétorquer aux amis auxquels j’écrivais. Nous avons la sensation parfois de plus nous inquiéter que bien des parents de problèmes qui, finalement, ne concernent pas nos propres enfants. C’est d’ailleurs la seule raison pour laquelle je me suis engagée en politique… Pas pour qu’on entende que je travaille. Mais pour qu’on entende les sujets qui me paraissent vitaux. J’espère donc que ces quinze minutes de notoriété toute relative feront que mes détracteurs liront ce texte également. Même si je n’y parle pas de vacances ou si je n’y dis pas de gros mots.

Il se passe quelque chose. Et ce quelque chose concerne vos enfants.

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commentaires

Mike

2016-05-11 13:05:13
Visiblement je tombe tardivement sur cet article. Ce qui n'est pas bien grave. Les écrits restent... Je ne peux ni valider ni infirmer tes propos sur le faible niveau en orthographe des plus jeunes générations. Encore que... Je me dis juste que cette réflexion spécifique et précise est un peu l'arbre qui cache la forêt. Si débat il doit y avoir, il devrait porter sur la place de l'enseignement/éducation/formation, sur ses buts recherchés et les moyens nécessaires à mettre en place. Et je ne parle pas que des enfants, mais aussi d'éducation permanent, etc. Tu évoques les rapports PISA (le vilain mot), faut-il vraiment en parler ? "Evaluation', "compétences", "épreuves", "performances". Voilà les mots qu'on y trouve. Peut-être faudrait-il leur substituer des mots comme "envie", "plaisir", "satisfaction"). C'est un peu comme faire découvrir la cuisine française en proposant du pneu brûlé sauce goudron. Dans une société qui valorise à ce point la compétition, peut-être que le monde de l'enseignement devrait se fixer d'autres objectifs. Plus citoyens, plus humains, plus valorisants. Le plus effrayant est que les élèves d'aujourd'hui sont les enseignants de demain. Je me permets de te suggérer un documentaire intéressant : https://www.alphabet-film.be/fr/ Je ne serai pas aussi généraliste que toi en parlant "des enseignants", mais peut-être que les combats/revendications d'une majorité d'entre eux/vous ne se focalisent pas sur les bonnes questions. Encore faut-il savoir ce que l'on attend comme réponse(s)...

Francesca

2015-03-30 11:59:31
"Loin de moi l’idée de vouloir faire prévaloir notre métier sur le vôtre, quoique vous ayez retenu de mon précédent article" Il ne manque pas un espace entre le "quoi" et "que"? (Je dis ça mais je n'en suis pas certaine: je suis une cata en orthographe - enfin je l'étais, j'ai bien peur d'être aujourd'hui bien au dessus de la moyenne, et pas parce que je me serais particulièrement améliorée :-( ) Sinon encore un très bon article que je vais m'empresser de partager :-)

Daphne

2015-03-30 06:57:24
Ton malaise fait complètement écho à celui que l'on ressent dans le milieu où je travaille: la librairie. Il y a un désintérêt croissant et inquiétant des jeunes pour les livres, suivant plus ou moins la "loi du milieu" que tu évoques dans ton article. Le premier critère de choix pour une lecture scolaire devient le nombre de page. Cela me semble si triste. Et grave. J'ai peur aussi que ces jeunes, de plus en plus désabusés et laissés pour compte, ne voient même pas l'intérêt de s'adresser un jour à un écrivain public, ou au système de correction automatique de leur ordinateur: le nombre de CV que nous recevons avec des fautes dans l'intitulé même du poste brigué est affligeant. Ils n'ont même pas conscience du danger que ces lacunes représentent pour eux. Nous avons eu un étudiant qui s'occupait de la caisse pendant les vacances. Plein de d'enthousiasme et de bonne volonté, il a voulu au bout de deux semaines aider de temps en temps les clients à trouver leurs livres dans le magasin. Résultat: son orthographe était tellement déplorable qu'aucun système de recherche sur ordinateur ne pouvait l'aider... A l'inverse, sans en faire une généralité, je suis fâchée contre ces profs qui envoient leurs élèves choisir un essai en magasin pour faire un travail, sans même prendre la peine de leur expliquer la différence entre un roman et un essai. Ou ceux qui veulent relever d'un coup le niveau de classes de 3e secondaire en leur imposant la lecture des Piliers de la terre de Ken Follett. Pauvres enfants...

Tiff

2014-04-29 18:51:45
C'est ma fille de 14 ans qui m'a incitée à lire ces articles. Alors je fais un constat optimiste. Elle a compris ces articles et a lu ici plus de pages dans lesquelles je n'ai pas relevé de fautes que je n'en ai vu depuis des années! La langue française n'est pas encore morte même sur internet, du moins pas chez les profs! Je ne fais pas leur apologie. Je viens du secteur bancaire où des têtes pensantes nous inondent d'informations truffées de fautes en tout genre. Si les profs ont quatre mois de vacances et pas vous (moi non plus d'ailleurs), qu'ils éduquent vos enfants et pas vous et que ça vous emmerde, personne ne nous a empêché de devenir profs...

Pr S. Feye

2014-03-16 21:24:27
Il faut, au plus vite réoffrir à tous des humanités gréco-latines comme jadis. En effet, l'égalité de la malchance pour tous est trop coûteuse pour les citoyens et trop rentable pour les apparatchics trop nombreux. Pr Stéphane Feye Schola Nova - Humanités Gréco-Latines et Artistiques www.scholanova.be www.concertschola.be www.liberte-scolaire.com/.../schola-nova https://online.wsj.com/news/articles/SB10001424052702303755504579207862529717146 https://www.rtbf.be/video/detail_jt-13h?id=1889832

sopros

2013-11-20 21:11:04
Ce me semble une mine d’informations…

Ronhin

2013-11-01 02:27:15
Je crois que j'aurais adoré t'avoir comme prof. Pourquoi plus de dix milles partages sur les vacances? peut être parce que tu as su trouver les mots justes. En tout cas, c'est ce que je crois. Personnellement, je pense (surtout depuis que j'ai vu écrire pour exister) que certains profs aident à donner envie d'apprendre ou d'évoluer, tandis que d'autres démotivent. Mon prof d'histoire était un linguiste francophone et son cours se basait sur l'actualité pour nous raconter l'histoire. C'était motivant. La même année, notre prof de français a désespérément tenté de nous apprendre à écrire un texte argumentatif: on fait l'intro, la conclusion et le reste c'est pour meubler, ça s'écrit donc après pour avoir un lien entre l'intro et la conclusion, puis on recopie et on recopie, la première fois pour le remettre dans le bon sens, la deuxième pour virer les fautes... Ca donne envie d'écrire ça? Quand j'ai tenté de lui expliquer, vu qu'elle avait un esprit très fermé, on a passé 3 semaines à se "disputer" tous les jours car je n'étais pas d'accord et je souhaitais au moins qu'elle m'explique en quoi ma façon de voir était erronée. J'ai passé de longs moments hors de la classe, moments ou mes camarades, solidaires, ne disaient et ne faisaient rien. Intro, développement, conclusion, me paraissait plus logique dans l'ordre. Enfin... Tout ça pour dire que tu ne dois surtout rien changer, comme dit en première phrase, je pense que tu m'aurais plus en tant que prof, tu m'aurais donné envie de m'intéresser à la matière. Mais le système est mal fait et on se retrouve avec les bons profs, donnant des cours qu'on bride quand ils sont bien. L'ortaugraff' c'est pas grave du moment que c'est compréhensible par une minorité ... x)

Florence Casse

2013-10-31 13:11:33
Super article! Tu as su exprimer en quelques lignes (qui n'ont probablement pas pris 4 heures à être rédigées, ahem :)) les impressions que je garde de mes études secondaires (une copine de classe, en rhéto: "comment tu écris "quand même"? "c-o-m-é-m-e"?") et de ma consternation quand, en 1ère bachelier en faculté de Philo & Lettres, sont organisés des tests d'orthographe, de grammaire, de vocabulaire et les séances hebdomadaires de remédiation qui les accompagnent (premier cours: le présent de l'indicatif. Véridique). Je ne parviens pas à définir ce qui m'a permis d'assimiler la majeure partie des règles basiques de notre bonne vieille (et si jolie) langue française mieux que mes camarades: mes parents, mes instits, mes profs du secondaire? Moi? Mais (bordel) il est temps que les personnes intéressées se penchent sur le problème. J'espère que ton engagement et tes intérêts pour un "mieux-apprendre" et par conséquent un "mieux-devenir", si je puis dire, feront bouger les choses et nous permettront de communiquer avec des personnes compréhensibles. :)